Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a annoncé vouloir supprimer la Contribution à l’audiovisuel public, au titre de l’amélioration du pouvoir d’achat. Davantage connue sous le nom de redevance TV, elle est payée depuis 1949, en même temps que la taxe d’habitation, par tous les foyers qui déclarent posséder un téléviseur ou dispositif assimilé. Depuis cette annonce, créateurs, cinéastes, producteurs et journalistes dénoncent une mesure qu’ils considèrent comme une menace directe pour l’indépendance de l’audiovisuel public et pour le financement de la création française.
A l’heure où l’information est devenue un enjeu stratégique, où le secteur culturel est fragilisé par différents facteurs conjoncturels, et que son économie est impactée par la croissance continue des plateformes en ligne, cette annonce pose la question de l’avenir du service public audiovisuel et, au-delà, de la vitalité de la production audiovisuelle française. Pour France Télévisions, Radio France, Arte, France Médias Monde (France 24 et RFI), TV5 Monde et l’Institut national de l’audiovisuel (INA), cette redevance représente leur principale source de financement : 3,2 milliards des 3,8 milliards d’euros du budget de l’audiovisuel public.
Si l’exécutif assure aujourd’hui que la fin de la redevance n’entraînera pas de baisse de moyens pour l’audiovisuel public, il ne précise pas encore le projet qui en découlera. Un rapport sénatorial publié le 8 juin dernier esquisse une possible fusion de tous les groupes audiovisuels publics au sein d’une société unique. Cette fusion tendrait à effacer ce qui fait la force de notre audiovisuel public et la richesse de ses lignes éditoriales : la diversité du contenu proposé, liée à des modèles et à des fonctionnements propres à chaque entité.
La question s’est également posée ailleurs en Europe. Il apparaît que nous contribuons relativement moins à l’audiovisuel public que bon nombre de nos voisins. La taxe varie « de 251 à 320 € » selon les régions en Autriche, s’élève à 220 € en Allemagne, 181 € au Royaume-Uni et à 312 € en Suisse. Avec un montant de 138 € en France métropolitaine et à 88 € dans le reste des territoires, notre contribution demeure plus faible que celle de beaucoup de pays européens. Si l’on ramène le volume de financement public au nombre d’habitants, la France se classe ainsi au 14è rang en Europe, relevait la députée Céline Calvez dans son avis sur le projet de loi de finances 2022.
Grâce à leur offre diversifiée et faible en publicité, les médias audiovisuels publics jouent un véritable rôle culturel, social et éducatif, en assurant l’accès à la culture, à des contenus complémentaires à ceux diffusés sur les plateformes numériques et à une information objective, pluraliste et indépendante.
Pour la création française, l’audiovisuel public joue également un rôle majeur : il constitue un espace de découverte pour le public, une fenêtre d’exposition pour les artistes, et grâce à son pouvoir prescripteur, il est le précieux garant du renouvellement des répertoires et de notre diversité culturelle.
« Cette offre culturelle de qualité, non commerciale, gage d’une vraie diversité, est aujourd’hui unique. Aucun canal privé ne propose des contenus culturels comme peuvent le faire Arte ou les chaînes de Radio France. Et ces médias publics n’ont jamais autant été plébiscités par les Français ! Moins d’argent pour l’audiovisuel public signifie moins de culture en France et il est de la responsabilité de l’État envers les millions d’auditeurs et de téléspectateurs de maintenir la qualité de cette offre, très importante pour eux. » déclare Evgueni Galperine, compositeur de musique.
La redevance TV est une ressource nécessaire à la qualité et à la pérennité de la création, et elle constitue une part significative de ressources pour les créateurs et éditeurs, y compris de musique (musiques de films, génériques, musique live…). Elle a joué pleinement son rôle tout au long de la crise, en créant un filet de sécurité pour les créateurs.
En 2021, les diffuseurs ont investi 937 millions d’euros dans la production audiovisuelle (aidée par le CNC), dont 644 millions d’euros dans la fiction, et le groupe France Télévisions a consacré 50% de son budget au financement de la création tout en continuant à s’exporter dans le monde entier et ce malgré la crise. Il demeure ainsi le premier groupe audiovisuel français en termes d’investissements (451 millions d’euros au total). Du côté de la radiophonie, Radio France est le premier média radiophonique dont la part des œuvres francophones et de la diversité dépasse largement celle des acteurs privés.
« L’annonce de la fin de la redevance génère une réelle inquiétude quant au financement de la création en France. Aujourd’hui, l’animation, par exemple, est un véritable fleuron français sur la scène internationale. Nous sommes le premier producteur européen pour ce registre audiovisuel. Et c’est en partie grâce à France Televisions et à la diversité qu’elle promeut sur ses chaînes ! » précise Fabrice Aboulker, compositeur de musique.
Un affaiblissement de ces financements aura un impact sur l’ensemble de la chaîne de création : les créateurs se verront matériellement fragilisés, les consommateurs se tourneront vers les chaînes et plateformes de streaming étrangères, tandis que notre empreinte artistique à l’international mais aussi notre souveraineté culturelle se perdront.
Au lendemain des élections législatives, les intentions de l’exécutif restent encore floues et donnent peu de visibilité sur l’avenir de l’audiovisuel public. Au printemps dernier, dans sa lettre ouverte au Président de la République, alors candidat, la Sacem a exprimé son point de vue sur le sujet. Le rôle de l’audiovisuel public dans la collecte des droits d’auteur est majeur dans le soutien à la diversité des répertoires.
« Au nom de tous les créateurs, au nom de tous ceux qui aiment passionnément la culture et la musique et au nom de tous ceux qui sont profondément attachés au service public de la culture et de l’information, nous vous demandons très solennellement de garantir la stabilité et la pérennité du financement de l’audiovisuel public, qui est l’un de nos principes démocratiques fondamentaux » interpellaient ainsi Cécile Rap-Véber et Patrick Sigwalt, avant de conclure : « Nous appelons au plus vite à l’ouverture d’un grand débat sur la promotion de la création française ».