Pendant longtemps, la présence des femmes dans les orchestres a été perçue comme « une source de distraction » pour les hommes et ces idées préconçues ont laissé des traces dans notre société actuelle. Le manque de représentation est, aujourd’hui encore, pointé du doigt et certains métiers du secteur, comme celui de chef d’orchestre, demeurent très masculin.
Face à l’ampleur du défi d’atteindre un jour la parité, certaines figures de la filière musicale tentent de faire bouger les lignes. Décryptage d’un plafond de verre qui peine à se briser.
Les chiffres sont clairs : selon une étude du Centre national de la musique (CNM), la présence de femmes leaders sur scène est de 17 % contre 62 % d’hommes. Dans la musique enregistrée, les chiffres sont plus élevés mais toujours révélateurs de cette réalité inégalitaire : 28 % des titres sont interprétés par des voix dites féminines contre 55 % masculines.
« Les femmes sont sous-représentées dans la filière musicale. Et quand elles sont présentes, elles sont moins bien considérées que les hommes. L’égalité s’installe quand les femmes peuvent réussir aux mêmes conditions que les hommes, à ressources équivalentes. »
Pour Marie Buscatto, sociologue du travail, du genre et des arts, le constat est sans appel.
Laëtitia Pansanel-Garric, compositrice et enseignante-chercheuse à l’Université Lumière-Lyon 2 et lauréate du premier prix Révélation du compositeur de musique de film du festival des Arcs 2022, apporte un témoignage similaire : « J’ai connu quelques discriminations au cours de mes études. Le sujet existe, mais s’agit-il de discrimination ou de personnes qui ont juste eu l’habitude de travailler entre elles ? Dans tous les cas, les mentalités doivent évoluer. »
À l’inverse, Claire-Marie Sinnhuber, compositrice et lauréate du prix de composition Georges Enesco de la Sacem en 2007, explique ne s’être jamais posé la question et apporte une lecture différente ; si elle a rencontré des difficultés dans son parcours comme tous les artistes, elle ne l’attribue pas au fait d’être une femme.
Les femmes ont progressivement réussi à s’imposer parmi les nommées lors de toutes les cérémonies de remise de prix, dans toutes les esthétiques. Un exemple récent est la victoire d’Irène Drésel, productrice de musique électronique et compositrice-interprète, qui a remporté le César de la meilleure musique originale en 2023 pour le film À plein temps d’Éric Gravel, devenant ainsi la première femme lauréate de ce prix dans l’histoire des César. « Depuis 48 ans que les César existent, cinq femmes seulement ont précédemment été nommées, mais jamais aucune d’entre elles n’a été récompensée. Ainsi, je dédie ce César à toutes les compositrices de musiques à l’image » a déclaré Irène Drésel pour souligner le caractère historique de ce moment.
Cette reconnaissance est un premier pas vers une plus grande représentation des femmes dans le paysage musical. Une tendance que l’on peut également observer dans la programmation des festivals. « Il y a une volonté d’être paritaire » déclare Joran Le Corre, programmateur de Panoramas. Le festival électro et rap, qui a fêté son 25e anniversaire en 2022, affiche aujourd’hui une programmation à 55 % féminine : « En termes de représentativité, il y a encore du chemin. Pourtant, je me rends compte qu’il y a de plus en plus de femmes à des postes de direction. C’est le modèle qui crée la passion. Plus on voit des femmes sur scène, plus cela donnera envie aux jeunes femmes de faire de la musique. »
La prise de conscience du manque de représentation a permis de mettre en lumière d’autres sujets, tels que le harcèlement et les agressions que peuvent rencontrer certaines créatrices au cours de leur carrière. Selon une étude menée par MIDiA Research*, 81 % des 401 créatrices interrogées estiment qu’il est plus difficile pour les artistes féminines d’être reconnues que pour leurs homologues masculins. Plus inquiétant encore, parmi ces 401 créatrices, aucune d’entre elles n’a été épargnée par les discriminations sexistes.
Malgré ce constat, Marie Buscatto confirme que des avancées majeures ont été réalisées ces dernières années : les pratiques sexistes sont de plus en plus dénoncées depuis le mouvement Me Too et les institutions publiques ont pris conscience de la nécessité d’appliquer une répartition plus égalitaire des subventions et de mettre en place une organisation plus équitable des formations.
Engagé en faveur de la parité, le Centre national dela musique (CNM) a pris des mesures pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans la musique. Depuis le 1er janvier 2023, il est obligatoire de respecter un protocole de prévention de ces violences et du harcèlement sexiste et sexuel pour être affilié au CNM et bénéficier de ses aides. Le CNM a également mis en place un programme de financement pour les projets visant à promouvoir l’égalité dans les métiers de la musique. Au total, il a soutenu 230 projets en trois ans. Des Assises de l’égalité femmes-hommes dans la musique et deux formations certifiées sont également organisées pour aider les professionnels à intégrer l’égalité des genres dans leurs projets artistiques et culturels.
De son côté, la Sacem développe depuis plus de 10 ans une politique active en faveur de l’égalité femmes-hommes et s’engage chaque année sur des problématiques sociétales d’actualité afin d’accompagner les créatrices. Précurseure sur les problématiques liées à la retraite, la Sacem propose dorénavant d’intégrer au régime d’allocation d’entraide (le RAES) une mesure de valorisation du congé de maternité des créatrices. La Sacem s’engage également avec le groupe de protection sociale Audiens, en mettant à disposition de ses membres une cellule d’écoute qui permet aux créatrices et créateurs d’accéder anonymement à un soutien psychologique et juridique en cas de violences sexistes ou sexuelles.
« Nous continuerons à mettre en place tous les moyens nécessaires pour accompagner les créatrices et les créateurs et lutter contre les violences sexistes et sexuelles »
déclare Angela Alves, directrice de la Protection sociale et de la formation à la Sacem.
Delphine Ciampi-Ellis, compositrice et présidente de la commission sur l’égalité Femmes/Hommes de la Sacem conclut : « Il est essentiel de sensibiliser les acteurs de l’industrie musicale aux enjeux de l’égalité, et de mettre en place des mesures concrètes pour favoriser la représentation et la visibilité des femmes dans tous les métiers de la musique. Notre commission travaille activement pour cela. »
*Société d’intelligence économique dans le domaine du divertissement et des médias numériques.
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