Décryptage

Chronologie musicale : les réseaux sociaux donnent le ton

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#Création

20 ans après l’apparition de Myspace, qui a permis l’émergence d’artistes tels que Justice, Lilly Allen ou encore Arctic Monkeys, les nouveaux réseaux sociaux ont profondément changé la chronologie de la musique. Si les médias traditionnels, comme la radio ou la télévision, restent des outils de promotion incontournables pour les artistes, les réseaux sociaux représentent un immense territoire de communication pour faire connaître les créations et interagir avec les publics. Ils doivent cependant permettre aussi aux artistes d’en tirer une rémunération à la hauteur de leur travail. Les sociétés d’auteurs ont bien identifié ces opportunités et ces défis. Elles composent avec les nouveaux usages et les bouleversements du monde, pour toujours mieux créer de la valeur et protéger les créateurs.

De Myspace à Tiktok : le shift de la promotion musicale

Aujourd’hui Myspace a été éclipsé par de nouveaux acteurs apparus progressivement sur le marché. C’est le cas de Facebook, qui a offert la possibilité aux artistes de créer des pages dédiées à leur musique, mais aussi de la plateforme SoundCloud, rapidement devenue un lieu de prédilection pour les artistes émergents, grâce à ses fonctionnalités de partage et de commentaires. Depuis quelques mois, cette dernière bénéficie dun regain de popularité en surfant sur le caractère exclusif des sons proposés, sa marque de fabrique. C’est la stratégie choisie par Niska, qui a publié 3 titres inédits pour fêter les 5 ans de son album Commando, en septembre 2022.

L’impact d’Instagram et de TikTok sur la musique est lui aussi manifeste. Avec l’ajout de fonctionnalités, Instagram donne la possibilité aux artistes de partager des extraits de leurs chansons et de leurs performances en « stories ». Quant à TikTok, les challenges de danse et de lip-syncs sont plus populaires que jamais auprès de la génération Z. Des tendances qui offrent aux artistes une opportunité inédite de promouvoir leur musique d’une manière virale. Comme l’indique Pierre de Maere, auteur-compositeur-interprète sacré révélation masculine des Victoires de la Musique 2023, « TikTok a été un merveilleux tremplin et a accéléré les choses ». C’est aussi le constat partagé par Tessae, rappeuse-chanteuse, qui a émergé en partie grâce à ce réseau social, dans une interview à BFM : « Ça crée une base, où des gens qui ne me connaissent pas ont un petit avant-goût de mon travail ».

Découverte & proximité

« Ils [les réseaux sociaux] ont totalement bouleversé la relation entre les artistes et leurs fans. Ils peuvent aujourdhui interagir quasiment en temps réel avec eux et partager leurs actualités ou même leur intimité pour certains », précise Maria Garrido, directrice marketing de Deezer France.
Pierre de Maere complète : « Les réseaux sociaux amènent à la fois de lintimité et de lexclusivité pour les fans. Mes stories Instagram sont une vraie fenêtre sur ma vie, jy partage des contenus exclusifs comme des maquettes ou des images inédites de mes concerts. Cela me permet de fidéliser mon public tout en attirant de nouveaux fans. »

« Les réseaux sociaux permettent de faire vivre des genres musicaux à travers le monde entier, comme par exemples la K-pop et le reggaeton, aujourdhui des phénomènes internationaux qui ont été plus largement (re)découverts », estime Maria Garrido. Les partages, les likes et les commentaires permettent aux artistes de mieux cerner les attentes du public.

Shadow ban & royalties

Comment se démarquer dans un océan de contenus ? Il peut être difficile pour un artiste d’émerger dans la masse, au sein de ces nouveaux environnements. D’autant plus face à des algorithmes de recommandation souvent basés sur les interactions des utilisateurs avec les publications, et qui ne leur sont pas toujours favorables.

La question de la monétisation de la musique sur les réseaux sociaux et sur les plateformes de streaming se pose également. Bien qu’ils offrent une grande visibilité aux créateurs, ceux-ci ne tirent pas toujours un juste profit de leur travail. Selon l’enquête du Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (GESAC) publiée en septembre 2022, 30 % des revenus générés reviennent aux plateformes de streaming, 55 % vont aux labels, contre 15 % aux auteurs et éditeurs.  

Enfin, la question de la violation du droit d’auteur est aussi un enjeu majeur, en particulier pour les profils émergents et ceux qui n’ont pas les ressources nécessaires pour poursuivre les utilisateurs en faute. C’est dans ce contexte que Twitch a fait l’objet en 2020 d’une vague de réclamations au titre de la violation du Digital Millennium Copyright Act (DMCA) pour les musiques présentes dans les contenus publiés sur le réseau.

Protection & équité

Ces nouveaux terrains de création ont fait naître des enjeux inédits dans le secteur. « La Sacem sadapte en étant pragmatique, flexible mais intransigeante », précise Julien Dumon, directeur du développement, du phono et du numérique de la Sacem et directeur général de la filiale URights.

Ainsi, la Sacem travaille en étroite collaboration avec les réseaux sociaux et veille notamment à ce que les licences nécessaires soient obtenues pour l’utilisation de la musique dans les contenus postés par les utilisateurs de ces derniers. Concrètement, toutes les plateformes d’envergure sont soumises à un accord avec la Sacem (Twitch, Instagram, TikTok…). La société doit néanmoins composer avec une spécificité, comme le précise Julien Dumon : « Les plateformes de streaming ont mis en place des systèmes de tracking et de remontée dinformations qui correspondent à nos modes de fonctionnement. Sur les réseaux sociaux, cest radicalement différent. D’une part ces acteurs sont réticents à communiquer leurs nombres d’utilisateurs et le chiffre d’affaires qu’ils génèrent. D’autre part, la musique étant généralement considérée comme un simple accessoire utile à leurs activités, ils n’ont en conséquence pas implémenté de système robuste d’identification des usages sur leurs plateformes respectives. Même si cela limite considérablement la possibilité pour la Sacem de mettre en place ses modèles de rémunération standards avec les réseaux sociaux, ce manque de transparence n’empêche pour autant pas la Sacem de conclure des accords avec ces acteurs tout en préservant au mieux les intérêts de ses membres. »

Des outils concrets sont par ailleurs à la disposition de la Sacem et de ses créateurs. Par exemple, la plateforme URights, solution complète de gestion des droits d’auteur, permet dans l’environnement numérique l’identification des œuvres, leur revendication et facturation. Cette plateforme contribue par ailleurs à accélérer et simplifier la redistribution de sommes collectées à chaque créateur au plus près de la réalité des usages.  MusicStart, le dernier en date, est un service de protection qui permet de créer une date d’antériorité d’une création grâce à la blockchain.

Sur tous les fronts, le combat de la Sacem reste le même : assurer un pourcentage de revenu équitable et une répartition plus rapide des sommes collectées, tout en offrant une meilleure transparence.

CHIFFRES CLES

+ 76 millions
d’utilisateurs actifs chaque mois sur SoundCloud
+ de 1 milliard d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde entier comptés sur TikTok en 2021

– Crédit photo : Vladimir Vladimirov –

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