Points de vue de créateurs et éditeurs

Irène Drésel, musicienne, autrice-compositrice-interprète et productrice de musique électronique

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« Cela fait 48 ans que les César existent. Depuis, 5 femmes seulement ont été nommées, mais jamais aucune d’entre elles n’a été récompensée… »  

Productrice de musique électronique, musicienne et autrice-compositrice-interprète (BUDDE MUSIC France), en 2023, elle devient également la première femme à remporter le César de la meilleure musique originale pour le film À plein temps d’Éric Gravel.

À cette occasion, nous lui avons posé 7 questions :

1- En février dernier, vous avez été récompensée pour À plein temps. Quelle émotion vous a procuré cette distinction ? 

En début de cérémonie, j’étais plutôt tendue. Les César ne laissent place à aucune fuite, je me préparais à entendre un autre nom que le mien et lorsque Charlotte Gainsbourg a prononcé le mien ça a été un vrai choc ! 
C’est un véritable honneur et en tant que première femme, recevoir ce prix dans cette catégorie c’est d’autant plus gratifiant. Je suis profondément heureuse de faire partie du succès de ce film.
J’en profite également pour dire que c’est une victoire collective et que beaucoup de personnes ont contribué à ce succès. En 2018, j’ai rencontré le directeur artistique Juan Tamayo et l’équipe de Budde Music France, dirigée par Cécile Bernier qui est devenue mon éditrice. Dès lors, leur apport, à la fois artistique, administratif et logistique, a été un vrai support dans le développement de ma carrière, sur ces 5 dernières années. Ce partenariat me permet de travailler plus sereinement, c’est une force supplémentaire à mes côtés. De plus, l’équipe de Budde Music France est très engagée sur les sujets de droits d’auteur et de la place des femmes dans la musique.

2- Que signifie ce prix pour vous ? 

C’est une double victoire pour moi : en tant que femme, et en tant qu’artiste de musique électronique.

En tant que femme, j’espère que ça donnera envie à d’autres de faire ce métier. Et en tant qu’artiste de musique électronique ; Rone et Arnaud Rebotini avaient également reçu un César lors des éditions précédentes et c’étaient eux aussi des compositeurs de musique électronique. C’est donc une belle reconnaissance pour ce style musical.

3- Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ? 

La boite de production Novoprod avait déjà fait appel à moi dans le passé pour de la composition de musique à l’image en pub digitale pour des marques de luxe. Lorsqu’ils m’ont rappelée, c’était un peu la course donc j’ai rapidement fait plusieurs propositions à Eric [Gravel] pour que l’on sache si l’on partait dans la bonne direction, il a aimé mon travail et l’aventure a commencé ! Nous avions deux mois pour que le film soit fin prêt. 

C’était ma première bande originale, je l’ai composée avec des directives précises mais aussi avec une grande part d’instinct et de l’improvisation. 

J’avais une chose en tête : ne décevoir personne, ni le réalisateur, ni l’équipe, ni la production. 

4- Comment est née votre passion pour la musique et à quel moment avez-vous compris que la composition était votre vocation ? 

J’ai toujours aimé écouter de la musique et en découvrir. Dans ma famille, on en a toujours écouté, principalement du classique. Encore aujourd’hui, il y a des airs qui reviennent, me restent en tête et qui comptent toujours autant pour moi des années plus tard comme « La Pavane » de Gabriel Fauré ou « La Chanson de Solveig » d’Edvard Grieg. Je suis passée par les Beaux-Arts et les Gobelins et, lors d’une de mes expositions, j’avais besoin de musique et c’est à ce moment-là que je me suis dit : « Pourquoi tu ne la créerais pas toi-même ? » Et c’est comme ça que j’ai mis le nez dans la composition de musique électronique… c’était en 2013 et ce fut immédiat. Une révélation. 

5- Autrefois boudée, aujourd’hui primée, la musique électronique a fait du chemin. Quelle est votre lecture sur ce changement ?

C’est un genre musical plus apprécié et considéré aujourd’hui, en effet. Les avancées technologiques y sont pour quelque chose. Les logiciels de création de musique sont plus instinctifs. Les récompenses accordées aux artistes de musique électronique contribuent à sa légitimation et peut-être aussi à sa popularité.

6- Quel regard portez-vous sur la musique électronique aujourd’hui ?

La musique électronique peut être très diversifiée. J’aime lorsqu’elle est innovante et qu’elle exprime des émotions, contrairement à ce que certains se font comme idée de la musique électronique. C’est pour cette raison que je regrette parfois qu’elle devienne trop « normée ». La musique électronique, et plus particulièrement la musique techno, renvoient à cette notion de partage et ce sentiment d’intensité dont nous avons tant besoin. C’est d’abord le plaisir d’être en communion avec une musique qui nous porte et nous transcende. 

7- Le droit d’auteur est souvent remis en question. Pourquoi est-il important de le protéger ? 

Dès mes débuts, je me suis inscrite à la Sacem. C’est très important. 
La composition de musique, et plus largement la création artistique, c’est l’énergie d’une vie entière dédiée à l’art. Ça demande beaucoup de temps et d’investissement, et les droits d’auteur permettent à l’artiste de s’y retrouver un peu.

Finalement, protéger le droit d’auteur c’est cultiver l’essor de la création d’œuvres originales et enrichir l’héritage culturel.


– Crédit photo : Paul-Henri Pesquet –

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