Points de vue de créateurs et éditeurs

Issam Krimi, compositeur, pianiste et directeur artistique d’Hip Hop Symphonique

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Issam Krimi est pianiste, compositeur, souvent appelé « l’alchimiste du son » ou « le polyglotte musical », il multiplie les projets et les collaborations.

Son pari ? Mélanger les genres et proposer de nouvelles écritures à des créations musicales.

De ses propres compositions à la création d’identité musicale d’objets littéraires comme Gatsby le Magnifique avec Sofiane Zermani, La mort d’Achille de Wajdi Mouawad ou Frère d’âme avec Omar Sy. Il est également le créateur et le directeur artistique d’Hip Hop Symphonique où il réunit son groupe instrumental, The Ice Kream, l’Orchestre Philharmonique de  Radio France et plusieurs artistes. Récemment, Issam Krimi est le directeur musical et arrangeur du New Big Band Project d’MC Solaar.

Quel regard portez-vous sur la création musicale, aujourd’hui ? 

Il y a encore des cloisonnements forts et c’est compliqué de trouver des habitudes de jeu transverses : 

Le rap est souvent peu ou mal considéré en France et ce malgré son évident succès populaire. Le rap repose originellement sur le principe de composition du sample qui consiste à créer une boucle en puisant dans le meilleur des genres musicaux existants, le classique et la musique orchestrale compris. 

Aussi, je constate que l’on a trop tendance à considérer l’orchestre pour l’image de « prestige » qu’il peut représenter et moins pour le son et la musique qu’il joue concrètement. On a malheureusement trop souvent présenté des projets à des orchestres en niant le talent des musiciens.

Le savoir-faire du décloisonnement n’est pas encore toujours installé, il faut créer cette habitude qui n’existait pas. Ce n’est pas forcément le cas dans les pays anglo-saxons où les ensembles orchestraux ont l’habitude de travailler et jouer pour le cinéma, la pop ou le classique etc. C’est vraiment dommage parce que dans les années 50, 60, 70, les artistes de chanson française de premier plan travaillaient plus souvent avec les orchestres, je pense notamment à Claude François, Charles Aznavour ou Joe Dassin. C’était alors l’héritage des orchestres de bals qui se sont convertis à la nouvelle chanson de l’époque. Pendant un temps, ces rencontres créatives entre orchestres et interprètes « pop » ont été plus rares. Il y a eu un cycle de disparition et là je vois que ça revient. On est en train de relancer la machine et ça fait du bien de décloisonner les genres. Quand il y a des envies musicales et des envies d’émotion, on se met à chercher, à essayer et à défricher des nouvelles écritures et sonorités. C’est dans ce sens-là que je vois mon travail.   

Vous travaillez sur plusieurs projets à la fois, est-ce que l’intention artistique reste toujours la même ?  

Dans tout projet de composition, qu’il s’agisse d’un projet d’orchestration ambitieux ou d’une simple suite au piano, il y a une intention artistique à déterminer pour comprendre ce qu’on peut mettre au service des musiciens pour valoriser leur talent. La recherche musicale et cette tendance qui consiste à associer l’instrument à la musique urbaine s’inscrit dans une volonté d’apporter quelque chose de nouveau. On dit souvent que l’industrie est le problème. C’est aussi notre responsabilité en tant que créateurs d’apporter du neuf et de séduire à nouveau notre public car en réalité, nous restons des artistes et, un public reste un public et ce que nous voulons dans les deux cas, c’est aimer la musique, c’est qu’elle nous surprenne, qu’elle nous emporte dans des univers que nous ne soupçonnons pas. Je demande cela en tant qu’artiste et créateur et le public le demande en tant qu’auditeur.   

Comment est née cette envie de créer de nouvelles écritures en associant, par exemple, le rap à l’orchestre symphonique ? Et quel public souhaitiez-vous toucher ?

Cela a d’abord été une volonté de Radio France, à travers Mouv’, d’intégrer le rap – musique la plus écoutée par les jeunes en France – à un dispositif orchestral.

Nous nous sommes donc posé la question : Que pourrait-on faire pour valoriser le rap en profitant et perpétuant la tradition musicale de la maison ronde ? 

Historiquement, Hip Hop Symphonique est la première rencontre complètement instrumentale entre une formation symphonique – qui comprend à la fois, des cordes, des instruments à vent, des cuivres et des expressions musicales – et la musique rap, une musique souvent pensée et composée non pas à partir d’instruments dits « traditionnels » mais de machines (samplers, boîtes à rythmes, logiciels, …). 

Mon but était d’aller chercher le public dans sa globalité, des amoureux de musique avant tout qui ne se posent pas la question de savoir si c’est du rap, du jazz ou du classique. Pour moi le rap est la musique de toutes les musiques, elle est née comme ça. Au niveau de la France, il était important de le re-rappeler et de le prouver dans un élément scénique et dans une dimension de jeu.  

Pour le public classique et un peu puriste, l’enjeu était de leur montrer que c’était possible par l’écriture. En montrant que l’on pouvait développer un son nouveau. La façon dont les cordes ont été utilisées dans le disco en est la preuve, l’orchestre reste un moyen de développer un nouveau son. La recherche musicale et instrumentale vient d’une envie de ramener du neuf dans la composition et le jeu. On aime la musique, on aime qu’elle nous surprenne.
Extrait – Hip Hop Symphonique avec Ninho

Dans quelle mesure cet éclectisme et cette diversitésont-ils le reflet de votre histoire et de vos inspirations ? 

Je viens du conservatoire et de la musique classique, je suis tombé amoureux du jazz, j’ai écouté cette musique, je l’ai jouée, j’en ai fait des albums, des festivals de jazz alors que j’ai toujours écouté du rap et du rock. D’ailleurs au conservatoire, on me prenait parfois pour un ovni tant ce que j’écoutais paraissait éloigné de la musique qu’on y pratiquait. Et je me suis toujours senti seul à écouter du rap, alors que je faisais du jazz.

Le fait de pouvoir réunir les univers musicaux qui me nourrissaient a donné naissance à plusieurs projets. J’ai trouvé l’opportunité de faire une création complètement en ligne avec ma réalité de musicien, de pianiste et de compositeur. Avec MC Solaar et le New Big Band Project, nous revenons de New York, Montréal, de la Belgique… L’esprit musical d’ouverture, de jeu et d’exigence que j’ai retrouvé là-bas n’a fait que renforcer les désirs de créations que j’ai ici !

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