« Véritable génie du son et de l’arrangement ! ». C’est de cette façon que Philippe Katerine a qualifié Lucas Henri à l’occasion de son événement « Philippe Katerine Aux Anges ! » avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France dans le cadre de l’Hyperweekend Festival.
Pour Regard Sacem, le contrebassiste, membre permanent de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Lucas Henri, est revenu sur sa passion pour la musique, son métier d’arrangeur et le mélange des répertoires.
L’arrangement est une discipline qui est compliquée à définir et à circonscrire parce qu’elle peut prendre plein de formes selon les contextes, les demandes des artistes avec lesquels on travaille, la matière initiale fournie par les compositeurs etc. En partant d’une version guitare/voix par exemple, il peut s’agir d’écrire un accompagnement de piano, d’ajouter un contre-chant de clarinette ou encore de l’adapter pour orchestre symphonique. Ces cas de figure sont des exercices très différents qui demandent pour chacun des compétences spécifiques. Ce qui est sûr, c’est qu’apporter à n’importe quel thème ou mélodie un accompagnement, même le plus basique qui soit, ou encore en faire une forme plus étirée avec une introduction ou autre, c’est déjà de l’arrangement. On pourrait donc dire que de nombreux artistes sont des arrangeurs qui s’ignorent !
J’ajouterais que selon les différents degrés d’implication créative de la part de l’arrangeur, c’est la frontière entre l’arrangement et la composition qui devient parfois difficile à délimiter…
La première étape a été de tenter de définir ce qui caractérise l’identité de chacun des deux protagonistes :
Pour Philippe Katerine, au-delà de sa voix d’interprète, il y a évidemment ses compositions amenées à constituer le répertoire de ce concert.
Quant à l’orchestre, son identité pourrait se définir, en partie, par une large palette de sonorités et de couleurs qui lui sont propres, héritée d’une histoire et d’un immense répertoire, aux esthétiques variées, créée par de nombreux compositeurs au fil des siècles.
Tout l’enjeu a donc été de trouver des points de convergence entre ces deux mondes et d’associer à la musique de Philippe Katerine, toutes ces références musicales de la meilleure manière possible.
Philippe a une grande affection pour le répertoire des compositeurs français de la première moitié du XXème siècle tels que Maurice Ravel ou Francis Poulenc(dont il interprète, d’ailleurs la mélodie Montparnasse lors du concert). Nous nous sommes donc orientés en priorité vers cette partie de son répertoire naturellement adapté à l’orchestre.
Dans un second temps, nous nous sommes quelles chansons allaient pouvoir être orchestrées « telles quelles », car il faut bien assumer que l’orchestre a aussi ses limites et qu’un pupitre de contrebasses et de percussions ne pourra jamais produire le même effet qu’une basse électrique et une batterie par exemple.
Le cas de « Louxor J’adore », qui était potentiellement la chanson la plus attendue, est évidemment le parfait exemple puisque l’arrangement de la version originale repose principalement sur une boîte à rythme et un riff de guitare aux allures plutôt « rock ». Nous avons donc, choisi d’abandonner totalement le style d’origine et, de nous inspirer de l’orchestration et du langage harmonique de compositeurs américains comme Leonard Bernstein, qui a été très influencé par la musique de danse et les riffs pentatoniques. La danse étant le sujet principal de la chanson, l’idée est ensuite venue de décliner ce riff initial (ce qu’on appelle des variations) en une suite de courtes danses énoncées par Philippe (gavotte, menuet, bourrée etc.). Cela permettait de faire la part belle à l’orchestre, à ce moment-là, et faisait sens car les références aux danses sont présentes à toutes les époques dans le répertoire symphonique et la musique classique, en général.
Pour vous donner un autre exemple de procédé d’écriture emprunté aux compositeurs du répertoire classique, le concert se termine par une fugue interprétée par l’orchestre, écrite à partir du thème original de la chanson « La Reine d’Angleterre ».
Effectivement, c’est finalement ce détail qui illustre probablement le mieux la réponse apportée à l’ensemble des dilemmes énoncés à la question précédente :
Insister sur le fait que cet événement était un concert de Philippe Katerine « avec » l’Orchestre Philharmonique de Radio France et non « accompagné par » l’orchestre et considérer ce programme davantage comme une « re-création » qu’une « adaptation ».
J’ai parfois été un peu frustré en écoutant ou jouant certains programmes de ce type car il me semblait que l’orchestre était finalement un peu « effacé » ou se trouvait confronté à un langage musical qui ne lui correspondait pas vraiment. Selon moi, une rencontre entre ce type d’artiste et un orchestre symphonique est plus intéressante et réserve davantage de surprises au public si elle est envisagée comme une réelle collaboration.
Concernant les orchestrations, de Luis Mariano à Ella Fitzgerald en passant par Edith Piaf ou Jacques Brel, il était courant pour des artistes de jazz, de variété ou de musique dite « populaire » de créer les versions originales de leurs chansons avec des orchestres (et donc des arrangeurs !).
Ce qui me paraît plus récent, en revanche, c’est la volonté éditoriale assumée de nombreuses structures telles que Radio France d’être à l’initiative de ce type de projets. Face aux problématiques concernant la fréquentation des lieux de création et de diffusion de musique classique, l’idée est de diversifier l’offre musicale des formations symphoniques afin d’attirer de nouvelles personnes.
Si ces rencontres entre plusieurs univers s’avèrent finalement nécessaires d’une certaine manière, autant qu’elles soient une belle opportunité d’offrir une véritable surprise à ce potentiel « nouveau public » et, de lui donner à entendre de façon probablement inattendue toute la richesse de l’univers de l’orchestre et de la musique symphonique en général !