Décryptage

Vers une (r)évolution de la musique orchestrale

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Concevoir des œuvres musicales inédites en associant des genres très éloignés, c’est possible. Déjà hier, la chanson, le rock, le métal ou d’autres genres se sont associés à la musique orchestrale et symphonique. Aujourd’hui, d’autres répertoires comme la pop, l’électro ou même le hip-hop y cherchent eux aussi leur harmonie. Des hybridations ayant trouvé des publics qui se côtoyaient peu et qui, désormais s’enthousiasment ensemble. Les projets se multiplient : « Philippe Katerine Aux Anges avec l’Orchestre Philarmonique de Radio France », « Hip Hop Symphonique », ou encore le prodige Worakls, avec son album Orchestra, pour ne citer qu’eux, et un constat général : l’ouverture d’esprit est ce qui fait opérer la magie.

De la croisée des chemins au carrefour des genres, quelques magiciens dévoilent leur réflexion :

Evoluer dans son répertoire de prédilection et s’imposer en véritable virtuose dans son univers de référence, ou au contraire, rechercher l’expérience musicale aux sonorités plurielles et créer des alliances entre des genres musicaux différents ?Un choix évident pour Issam Krimi. Pianiste, compositeur, producteur et directeur artistique, il défend l’idée qu’il n’y a pas de réelles frontières entre les esthétiques et que finalement, les créateurs issus d’univers différents peuvent se rencontrer, écrire et jouer ensemble.

Parmi les initiatives qui s’inscrivent dans ce courant et le font rayonner, on retrouve Hip Hop Symphonique, un projet qui associe le répertoire hip-hop à la musique orchestrale. « Cette tendance s’inscrit dans une volonté d’apporter quelque chose de nouveau pour séduire et élargir notre public. Avec Hip-hop Symphonique, je souhaitais aller chercher le public dans sa globalité, des amoureux de musique avant tout qui ne se posent pas la question de savoir si c’est du rap, du jazz ou du classique. » déclare Issam Krimi.

Dans un autre registre, Worakls, auteur-compositeur-interprète de musique électronique, affirme qu’il est nécessaire de continuer la transmission de ces influences orchestrales aux jeunes générations pour les pérenniser. Depuis 2019, le jeune artiste français s’est lancé dans plusieurs tournées internationales pour son album Orchestra avec un orchestre d’une vingtaine de musiciens : « Ma musique est très bien accueillie par le public et j’en suis fier car ça me permet de participer, avec d’autres jeunes artistes, à l’ancrage de ce courant ! Nous remplissons des salles en France, en Europe et même en Amérique du Nord. » Finalement, cette volonté de mélanger les genres est aussi le symbole d’artistes ne souhaitant plus être cantonnés à un seul répertoire. Une musique qui illustre leur pluralité artistique : « Pourquoi ne pas montrer ce qui me plaît et m’anime ? Je propose une musique qui me ressemble et qui rassemble des publics issus non seulement de mes répertoires de prédilection mais également ceux qui aiment ce son nouveau. Je suis fier aujourd’hui d’avoir un public cosmopolite. C’est absolument génial car la musique doit avant tout rassembler ! »

Pour que cette union musicale prenne vie, une certaine ouverture d’esprit des créateurs et un décloisonnement des esthétiques sont indispensables. C’est là que le travail de l’arrangeur, souvent méconnu du public, opère sa magie. L’arrangeur occupe en effet un rôle important aux côtés des artistes (qui ne font pas toujours ce travail eux-mêmes) en les accompagnant dans leur processus de création, en sculptant leur musique, et parfois même leur voix, au gré de leurs envies et de leur imagination. Apportant une couleur très personnelle aux œuvres des autres.

« Contrairement au métier de compositeur où l’on est totalement libre, l’arrangeur doit totalement respecter l’œuvre originale. Un peu comme un compositeur de musique de film qui répond aux besoins d’un réalisateur. Ce que je trouve passionnant dans cet exercice, c’est de pouvoir pénétrer dans l’univers d’un autre artiste. Qu’a-t-il voulu dire ? Exprimer ? Comment transformer la matière sans la dénaturer ? Très souvent, c’est très enrichissant pour mes propres créations. » explique Camille Pépin, compositrice.

Serge Perathoner compositeur et Président du Conseil d’administration de la Sacem ajoute :
« L’orchestre symphonique est une formidable palette sonore d’une richesse infinie. On peut comprendre l’envie des créateurs de toutes les esthétiques de vouloir l’utiliser. L’arrangeur a une grande liberté par rapport à l’œuvre originale du compositeur, il peut intervenir dans les changements du tempo, de la tonalité, de la construction… Quant à l’orchestrateur il écrit ensuite, pour chaque pupitre et instrument, des sonorités et des mélanges de timbres. Évidemment tout cela avec l’accord et la complicité du compositeur. »

La non-linéarité de ce métier, qui va de l’ajout d’un instrument à la réorchestration et transformation totale d’un morceau, force le respect et interroge d’autant plus sur son manque de reconnaissance auprès du grand public. En janvier dernier, se tenait la deuxième édition de l’Hyper Weekend Festival, un événement soutenu par la Sacem, qui met à l’honneur la rencontre des genres musicaux. Le festival a affiché complet avec plus de 12 000 spectateurs et où Philippe Katerine a mis en lumière l’Orchestre Philharmonique de Radio France et celui qu’il qualifie de génie : Lucas Henri, contrebassiste et arrangeur du concert « Philippe Katerine Aux Anges ».

Ce dernier revient sur cette expérience : « En partant des compositions de Philippe Katerine, ce sont les nombreuses ressources de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, avec ses identités multiples, qui devaient guider l’orientation musicale et stylistique de ce projet. Nous avons dû opter pour de vrais partis pris sur certains morceaux et faire des choix peut-être parfois audacieux pour habiller différemment les chansons de Philippe Katerine et créer une symbiose entre elles, les esthétiques et les couleurs propres à l’orchestre. » Un des plus grands défis pour Lucas Henri a été de renoncer à travailler avec une section rythmique et de s’inspirer d’autres styles et répertoires de compositeurs de musique symphonique, tels que Leonard Bernstein, Maurice Ravel ou encore Francis Poulenc.

« Pour certaines chansons, l’adaptation pour l’orchestre a été une évidence tandis que pour d’autres, ce fut moins simple car il fallait entièrement les métamorphoser sans pour autant les dénaturer totalement. Dans ces cas-là, j’ai donc procédé à un travail de transformation et de déclinaison en essayant d’utiliser au maximum des procédés d’écriture empruntés aux compositeurs classique, afin de proposer des versions inédites dans leur forme et leur esthétique, espérant offrir de belles surprises au public connaissant bien les morceaux originaux ! »

Créatrices, créateurs, musiciennes, musiciens, compositrices, compositeurs et arrangeuses et arrangeurs d’horizons tous différents s’unissent dans une formidable alliance pour donner à entendre des sonorités nouvelles, hors des sentiers battus. Des pionniers avec un objectif commun : faire vivre et revivre les patrimoines, étonner le public et réveiller les tympans. Noble mission au service de la seule vertu cardinale de la musique, la création.

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